mercredi 16 janvier 2013

EXTRAITS - ROMAN 1



Laurence Thirion, Absences, Memory Press, Tenneville, 2008, 127 pp.

p. 15

Michel contemplait la garrigue à perte de vue. Eclaboussée de soleil et de lavandes en fleur, la nature semblait jouir d’un bonheur inaccessible aux êtres humains.

pp. 64-65

Michel avait décidé d’être heureux. Il venait de s’apercevoir qu’il était inutile d’attendre de la vie qu’elle lui offre des bonheurs tout faits. Il trouverait toujours des raisons de se plaindre. C’était à lui de changer pour pouvoir goûter le mieux possible à cette nouvelle existence qui s’offrait à lui. Il marchait sur un chemin caillouteux, le soleil chauffait agréablement sa peau, il sentait ses muscles se tendre au rythme de l’effort, petit à petit le désir de vivre et de jouir de chaque instant coulait à nouveau dans ses veines. Il tâcherait de se répéter que le bonheur l’attendait et qu’il fallait le saisir. Etre heureux n’était finalement qu’une règle de vie à se donner, ce n’était qu’une habitude à prendre. La vie lui souriait, il ne fallait plus penser aux tristesses accumulées en cinquante-sept ans d’existence, seul comptait le présent, si fugitif… Profiter de ce bruit de torrent, de la fraîcheur que ses éclaboussures procurent à la peau, s’émerveiller des couleurs d’un coucher de soleil ou des brumes des petits matins. Respirer les odeurs de thym et de lavande, écouter le chant des cigales. Plus rien d’autre n’avait d’importance, il fallait s’en convaincre.

pp. 68-70

Il ne vit pas le temps passer, il s’était laissé aller à la contemplation : un lézard sur une pierre, la rivière et son cours fluctuant, les nuages qui mêlaient la couleur de l’ardoise au blanc immaculé… A partir de ce jour-là, Michel avait senti qu’il guérissait, que son chagrin s’éloignait, que la vie, enfin, reprenait le dessus. Ce n’est pas qu’il oubliait, non, mais il contemplait à nouveau le monde et cela le réconciliait avec la vie…
(…) On ne retient pas les morts, quoi que l’on fasse. Si la tristesse reste intacte néanmoins, l’instinct de survie la range dans un coin de notre cerveau et la ressort parfois à l’improviste comme un livre familier que l’on feuillette de temps à autre et qui trouve sa place dans la bibliothèque de notre vie. La poussière le recouvre, on le nettoie de temps en temps, le texte n’a pas changé et l’émotion qui l’accompagne ne s’est pas émoussée malgré les années écoulées. Néanmoins, le sage choisit la vie et sait que cette lecture est contraire au bonheur. Il s’impose donc de ne lire ce récit que très rarement quand il se sent la force de supporter ses larmes et cette absurdité.
(…) Paul est mort, la rivière coule toujours, limpide et belle, le soleil s’émerveille de cette beauté et les lézards se pâment sous son éclat. Si Michel ne profite pas de ces instants, ce tableau idyllique ne sera pour personne. La vie doit triompher, rien ne sert de la traîner jusqu’à son agonie, dans la morosité et les regrets. Il ne trahit pas Paul s’il choisit de vivre, il le continue!

p. 86

(…) dans le tragique, les mots me viennent sans les chercher, les phrases se bousculent, la plume ne glisse pas assez vite, les pensées courent. Dans la plénitude, mes mots me semblent pâles, mon vocabulaire trop pauvre pour décrire cette absence de nuages, cette éblouissante lumière qui envahit chaque petite partie du corps.

p. 95

Paul était à présent auprès d’eux, dans les mots qu’ils prononçaient, dans les souvenirs qu’ils évoquaient et dans leurs éclats de rire.

p. 102

A huit heures, le ciel était clair et rempli d’espérances…

p. 124

Il comprenait qu’à présent, il lui fallait construire de nouveau souvenirs. Accumuler des images neuves. Sinon l’endroit deviendrait pour lui, pareil à un cimetière où chaque porte de maison lui rappellerait des morts.

p. 126

J’aurais aimé que cette lettre me donne de tes nouvelles… Mais tout cela n’a pas de sens, tu n’existes plus que dans ma mémoire, je le sais, et parfois celle-ci me trahit. Il y a des jours où je ne retrouve plus ton visage, ta voix se fait moins nette et j’ai peur tout d’un coup que tu disparaisses pour ne plus jamais revenir.

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